«AVS 21 creusera les inégalités sociales»

11 Nov 2020

©Neil Labrador | Mai 2015

(Article de Sylviane Herranz paru dans L’Evénement Syndical du 11 novembre 2020.)

La nouvelle réforme des retraites est sur le point d’être débattue au Parlement. Loin d’améliorer le sort des femmes, elle propose de relever leur âge de départ à 65 ans et pénalisera aussi les petits revenus.

La réforme de l’AVS revient sur le devant de la scène, avec de nouveaux sacrifices pour les femmes et les personnes aux bas revenus. Malgré la Réforme fiscale et du financement de l’AVS (RFFA), qui apporte désormais 2 milliards de francs chaque année au 1er pilier grâce à une hausse de 0,3% des cotisations, le Conseil fédéral maintient son projet de «stabilisation» de l’AVS (AVS 21), présenté en août 2019, deux ans après l’échec en votation de la réforme Prévoyance vieillesse 2020 (PV 2020). Contrairement à celle-ci, qui portait sur le 1er et le 2e pilier, AVS 21 ne concerne que le 1er pilier. Les caisses de pensions feront l’objet d’un traitement séparé, autour d’un compromis, présenté par l’USS, Travail.Suisse et l’Union patronale suisse. Celui-ci est aujourd’hui contesté, tant à droite que par une partie de la gauche.

Les mesures proposées par AVS 21 sont presque identiques à celles prévues par PV 2020: augmentation de l’âge de la retraite des femmes de 64 à 65 ans; suppression de la notion d’âge légal de la retraite, remplacé par un «âge de référence» fixé à 65 ans; instauration d’une retraite flexible entre 62 et 70 ans. Le Conseil fédéral veut «inciter les personnes à travailler jusqu’à l’âge de référence et au-delà». Une prolongation permettant de «combler des lacunes de cotisations». Autre élément d’AVS 21: une hausse de la TVA de 0,7%.

Le projet AVS 21 sera très probablement traité par la Chambre des cantons, premier Conseil à en débattre au Parlement, lors de la session qui débutera le 30 novembre. La Commission de la sécurité sociale et de la santé publique des Etats (CSSS-E) a entamé son examen à la fin de l’été et a d’emblée annoncé soutenir, à une large majorité, le passage à 65 ans du départ à la retraite des femmes. Elle a poursuivi l’examen du projet en octobre et devrait terminer ses travaux demain, 12 novembre.

En septembre, Christian Dandrès, conseiller national socialiste et militant syndical, a questionné le Conseil fédéral au sujet de cette réforme: Qui supporte les coûts? Quelles conséquences pour l’espérance de vie à la retraite selon les catégories socioéconomiques? Quels effets sur l’âge de la retraite, selon ces catégories? Quel financement faut-il pour maintenir le niveau des rentes et l’âge légal?

Dans ses réponses, le Conseil fédéral est des plus laconiques, sauf pour la dernière question, où il précise que l’économie liée à la hausse de l’âge de la retraite des femmes sera de 9975 millions de francs (de 2023 à 2031), ce qui correspondrait à une augmentation des cotisations de 0,3%. La hausse de la TVA apporterait 19 milliards, d’ici à 2030, soit l’équivalent d’une majoration de cotisation de 0,6% dès 2022. Globalement, 0,9% suffirait pour le maintien des prestations actuelles. Précisions avec Christian Dandrès.


Quel est votre sentiment face à ces réponses?

AVS 21 creusera les inégalités sociales, en discriminant les femmes, les jeunes et les personnes qui n’ont pas un revenu élevé. Les retraites sont déjà insuffisantes: 337000 retraitées et retraités doivent recevoir des prestations complémentaires pour vivre.

Le Conseil fédéral prétend qu’AVS 21 est nécessaire pour ne pas léser les jeunes. En réalité, AVS 21 est une attaque contre les jeunes, qui paient aujourd’hui pour les aînés avec la perspective que, lorsqu’ils seront à la retraite, les jeunes paieront pour eux. AVS 21 brise cette chaîne de solidarité et lèse donc les jeunes qui, dans leur majorité, dépendront de l’AVS pour une partie substantielle de leur retraite.

AVS 21 contraint aussi les femmes à travailler un an de plus pour la même rente. Cette péjoration est la réponse de la droite à la grève de femmes. La droite veut avoir les travailleuses et les travailleurs à l’usure, les empêcher de se mobiliser et de résister à son projet d’affaiblissement des acquis sociaux. L’AVS, une des principales revendications de la grève de 1918, obtenue après la Seconde Guerre mondiale, est la seule assurance véritablement sociale en Suisse.

AVS 21 profitera aux assureurs et aux banques qui pourront vendre plus de produits financiers d’épargne-retraite, à une minorité de salariés et aux indépendants riches, ainsi qu’aux patrons qui n’auront pas à payer pour maintenir un niveau minimal de retraite pour leurs employés.

Qu’en est-il des efforts demandés aux employeurs, les cotisations n’étant pas relevées?

Le Conseil fédéral m’a répondu que les employeurs paient aussi la TVA… Il semble presque gêné par les largesses faites au patronat. AVS 21 sort du principe de financement paritaire des retraites. La TVA est un impôt antisocial supporté par les consommateurs. Il impacte plus lourdement les ménages à petits revenus qui dépensent tout leur argent en biens de consommation et ne peuvent investir à la Bourse. Les dividendes sont si faiblement imposés que les patrons les augmentent en réduisant leurs salaires. Cet argent échappe à l’AVS!

Le Conseil fédéral ajoute que l’épargne sera utilisée par ces ménages, une fois à la retraite, et que les plus riches finiront par payer la TVA. Ce n’est de loin pas toujours le cas, car une part croissante de la richesse produite est accumulée par une minorité.

Le rôle des employeurs dans le financement des assurances sociales doit être renforcé. Les patrons doivent être mis à contribution, non seulement pour l’AVS, mais aussi pour l’assurance maladie. Ils ne déboursent rien pour la santé, alors que les conditions de travail génèrent de la souffrance et entraînent des coûts, supportés aujourd’hui par les assurés. Les patrons ne paient rien pour l’assurance maladie. C’est unique en Europe.

Une hausse des cotisations permettrait-elle de combler les déficits annoncés de l’AVS?

Une hausse de 0,9% du taux de cotisation suffirait à passer le cap. En répartissant de manière paritaire cette cotisation supplémentaire, les rentes pourraient être maintenues. Pour une personne gagnant l’équivalent du salaire médian genevois (homme: 7465 francs; femme: 7067 francs), c’est moins de 35 francs par mois. Au lieu de ça, le Conseil fédéral veut donc contraindre les personnes qui n’ont pas de gros revenus à travailler jusqu’à 70 ans!

Cela montre le mépris de classe de la droite et du patronat, qui étaient d’accord pour augmenter la cotisation à l’AVS de 0,3% (payée paritairement) pour faire passer la pilule de RFFA, mais qui refusent toute hausse pour garantir les rentes.

Que répond le Conseil fédéral au sujet de l’espérance de vie?

Il explique qu’il n’y a pas de statistiques fédérales complètes pour évaluer les risques de mort ou d’invalidité avant l’âge de la retraite, ou l’espérance de vie selon le niveau de revenus.

On constate toutefois qu’un homme de 30 ans, avec un niveau de formation ne dépassant pas la scolarité obligatoire, a une espérance de vie de quatre ans inférieure à celle d’un homme du même âge avec une formation tertiaire (Université, HES). Toutes les statistiques européennes montrent d’énormes disparités selon les catégories socioprofessionnelles.

De nombreuses personnes indigentes «choisissent» des franchises élevées et renoncent ainsi à des soins. L’inégalité d’accès aux soins est une des causes de l’inégalité devant la mort. Le Conseil fédéral refuse toutefois que l’administration réalise une statistique de cette réalité. Il prétend que «tout le monde doit faire des sacrifices», alors que les patrons et leurs cadres vivent plus vieux et en meilleure santé.

L’inégalité sociale face à la maladie et à la mort est un scandale soigneusement caché par les médias suisses. AVS 21 la renforce. Seuls les assurés aisés partiront à 62 ans (aujourd’hui les riches partent souvent à 58 ans), les autres travailleront jusqu’à 70 ans.

AVS 21 introduit un «âge de référence» de départ à la retraite. Qu’en pensez-vous?

AVS 21 est une étape pour le démantèlement progressif du système de retraite, avec la suppression de l’âge légal de la retraite, qui est le référentiel commun pour toute la population. C’est un levier politique fort qui permet une large mobilisation et qui a sans doute permis de gagner la votation contre PV 2020, en revendiquant en commun des retraites dignes.

Y a-t-il quelque chose à sauver dans cette contre-réforme, au Parlement?

Il faut rejeter toute solution autre que celle qui consiste à augmenter paritairement le financement de l’AVS pour passer le cap des «babyboomers». Le «risque de longévité» est inhérent au système dont les patrons font partie intégrante. Il est inacceptable qu’ils cherchent à se dérober à leurs obligations.

Par ailleurs, la droite veut rétablir le taux de profit des entreprises sur le dos des travailleurs. Ueli Maurer déclare partout qu’il n’est pas possible de sauver toutes les entreprises des conséquences du Covid-19, ce qui signifie: la droite n’aidera pas les petits indépendants et les petits commerçants. Elle n’est plus prête à faire des efforts pour éviter des licenciements en masse.

Dans ce contexte, il faut une pression très forte du camp progressiste en dehors du Parlement pour forcer la droite à revoir la copie, et à accepter le maintien des rentes et de l’âge légal de la retraite. Et quand bien même, après la RFFA, une grande prudence s’impose. Certains ont fait campagne pour la RFFA afin de «sauver les rentes de l’AVS». Moins de deux mois après la votation, le Conseil fédéral adoptait les axes de sa contre-réforme AVS 21.

Je voudrais conclure en sonnant le tocsin. La droite a empoigné AVS 21 et veut l’imposer d’ici à l’été prochain. Il est urgent que les organisations progressistes et la gauche se mobilisent contre AVS 21 et déclarent fermement qu’elles refuseront tout accord de coin de table qui atténuerait ce projet fondamentalement pourri.


L’USS et AVS 21

«La prévoyance vieillesse à la croisée des chemins.» Sous ce titre, l’Union syndicale suisse (USS) a présenté hier aux médias, alors que ce journal était déjà sous presse, son analyse de la situation actuelle des retraites et des conséquences concrètes qu’engendrera la réforme AVS 21, en particulier au niveau des rentes des femmes. Ces dernières touchent déjà un tiers de moins que les hommes. Nouveaux calculs à l’appui, l’USS prévoit qu’avec AVS 21 les rentes féminines diminueront. La faîtière syndicale devait aussi faire le point sur la baisse alarmante des pensions du 2e pilier et sur leur niveau extrêmement bas dans certaines branches. Parmi les personnes présentes, Pierre-Yves Maillard, président de l’USS, et Aldo Ferrari, vice-président d’Unia, devaient également aborder les pistes pour améliorer la situation. Nous reviendrons sur cette conférence de presse dans notre prochaine édition. L’ES