La lutte contre les faillites abusives

02 Oct 2021

Le groupe socialiste soutiendra l’entrée en matière sur ce projet de loi. C’est une étape importante dans un travail qui a débuté il y a plusieurs années et qui a pour fonction de lutter contre les conséquences désastreuses que peuvent avoir des faillites abusives sur des consommateurs, sur des assurances sociales, sur d’autres créanciers et surtout sur les salariés.

C’est un soutien qu’on doit garder critique, parce que si les mesures qui ont été proposées pourront protéger de manière relativement efficace certains créanciers, on n’a en revanche pas été jusqu’au bout du travail quant à la protection des salariés. Cela pour une raison assez simple: l’objectif premier du Conseil fédéral, et ensuite du Conseil des Etats et de la majorité de la commission, était de lutter contre la concurrence déloyale que ces faillites abusives imposent aux autres entreprises du secteur. Donc, les deux axes des mesures qui sont proposées, à savoir des aspects non seulement de prévention et de transparence, mais également de maintien du patrimoine, seront effectivement très utiles pour un certain nombre de créanciers, qui ont notamment la possibilité de consulter les registres, qui ont une certaine habitude, qui ont une organisation – donc des sociétés -, mais ils le seront nettement moins pour les salariés.

On doit avoir aussi à l’esprit que les secteurs dans lesquels les faillites abusives sont les plus nombreuses, notamment l’hôtellerie-restauration ou le secteur du bâtiment et génie civil, sont frappés par un taux de chômage qui est sensiblement plus élevé que la moyenne nationale. C’est presque le double pour le bâtiment et génie civil et on est à plus de 10 pour cent pour le secteur de l’hôtellerie-restauration. En quelque sorte, même si le salarié est informé du risque que l’entreprise puisse partir en faillite ou fasse l’objet d’une faillite abusive, est-ce que cette personne a vraiment le choix de refuser un emploi pour éviter cette situation, au risque de rester au chômage pendant une période plus longue encore?

Je pense que si on veut parachever ce chantier, il faut que le Parlement continue son travail autour de solutions comme celles visant à renforcer la responsabilité personnelle et solidaire des administrateurs. C’est une proposition que le Conseil fédéral avait à l’esprit au moment où il a initié la démarche de consultation autour du projet et qu’il a ensuite abandonnée. Une autre solution est de faciliter l’accès aux procédures de faillite et de poursuite pour les salariés, notamment en les rendant gratuites. En la matière, je pense qu’on doit montrer le décalage qu’il y a entre la situation d’un salarié qui agirait auprès du tribunal des prud’hommes pour des montants qui sont inférieurs à 30 000 francs et qui donc bénéficierait d’un accès gratuit à la justice et une personne victime d’une faillite abusive ou frauduleuse qui doit agir auprès du juge chargé de la faillite et qui doit verser des frais.

Et cela, c’est quelque chose qui, évidemment, est problématique. Et je pense qu’il est nécessaire de réfléchir aux quelques fondamentaux qui ont été posés pour lutter contre la sous-enchère et contre les pratiques de dumping qui concernent prioritairement les salariés, mais pas uniquement puisque cela concerne aussi les assurances sociales et les entreprises qui, par ces mécanismes-là, sont soumises à une concurrence déloyale. Je pense en particulier à la question de la responsabilité solidaire des entreprises.

Si le Conseil fédéral et la majorité de la commission veulent garantir une concurrence qui soit loyale, alors il faut aussi empêcher qu’une entreprise puisse, par le biais d’une sous-traitance à une entreprise étrangère qui serait insatisfaisante d’un point de vue des finances et qui menacerait effectivement de faire faillite, contourner le dispositif qu’on est en train de mettre en place aujourd’hui.

Et puis je pense aussi qu’on devrait mettre au coeur de cette lutte les assurances sociales. C’est une proposition qui avait été faite par l’Union syndicale suisse, qui demandait qu’on ajoute une disposition pour mettre en place un devoir d’annonce, soit concomitant l’engagement du salarié, soit en amont de l’engagement. Ce serait effectivement une mesure très simple, d’une part pour éviter qu’il y ait des pertes de cotisations, mais aussi pour éviter que l’entreprise puisse continuer à travailler comme coquille vide ou en étant surendettée, parce qu’en ne répondant pas à l’obligation, à ce moment-là une annonce serait faite au juge et l’entreprise pourrait être mise en faillite.
Vous me permettrez peut-être une dernière remarque. Il y a quelque chose qui surprend dans les débats tels qu’ils ont été menés au sein de la commission et dans le projet du Conseil fédéral, à savoir l’important décalage qui existe entre le fait qu’un entrepreneur est autorisé à tirer un trait – ce sont les mots du Conseil fédéral – sur les problématiques liées à son entreprise, à faire faillite et à repartir, disons, sans à peu près aucun obstacle, sauf si on est dans un cas abusif ou de fraude, et les difficultés énormes que peuvent avoir des personnes salariées, des personnes physiques non inscrites au registre, à pouvoir faire une faillite personnelle lorsqu’elles sont surendettées. Ces personnes vont devoir avancer des sommes importantes, et ensuite il y a des conséquences qui peuvent être très funestes pour l’avenir économique de ces gens. Or la question de la consommation est aujourd’hui centrale en tant qu’élément moteur de l’économie, et comme on connaît une situation de stagnation notamment des salaires, on a évidemment recours au surendettement. Je pense qu’on doit aussi travailler sur ce point.

Intervention prononcée au Conseil national le 30 septembre 2021 au sujet de la Lutte contre l’usage abusif de la faillite.