La rentrée scolaire 2024/2025 a lieu sur fond de déclarations politiques qui annoncent une volonté de reprise en main de l’école par le patronat et ses représentant-e-s politiques.
Thierry Burkart, président du PLR, a récemment présenté un programme pour l’éducation. Le PLR veut une école centrée sur les «compétences de base», soit «la lecture, l’écriture et le calcul». Selon le PLR, «l’école obligatoire doit aujourd’hui prendre en charge toutes sortes de thématiques sociétales et n’a trop souvent plus le temps d’assurer sa mission principale, à savoir de transmettre et d’enseigner les compétences de base». Quelles sont donc ces «thématiques sociétales»? Le programme n’est pas clair, mais le ton est donné avec le chapitre intitulé «Pas d’idéologie ni de matériel pédagogique wok», dans lequel il est mentionné paradoxalement que l’école doit promouvoir «les valeurs et les vertus qui caractérisent notre pays depuis des siècles et qui font son succès, comme le sens des responsabilités, le respect ou l’indépendance […]».
En juin, Le Temps constate avec l’Office fédéral de la statistique qu’un-e jeune enseignant-e sur cinq quitte la profession après cinq ans de métier. Il fait état de la désillusion liée aux conditions de travail. Sont mentionnés notamment les effectifs de classes, les sollicitations des parents et les charges administratives . Choisir d’enseigner est un engagement fort. Entrer dans la fonction exige une formation pédagogique et des stages, en sus de la formation dans la discipline. Les nouveaux-elles enseignant-e-s disposent parfois d’un «bac +7». Les stages d’entrée ne sont pas toujours rémunérés et la réussite de la formation pédagogique n’implique pas d’avoir un poste et encore moins un taux d’activité suffisant. On ne quitte donc pas sans raison une place si chèrement gagnée.
Ce qu’évoquent les enseignant-e-s – mais que ne relaie pas Le Temps -, c’est aussi la perte de sens de la profession, avec l’injonction de former des élèves pour qu’elles et ils soient adapté-e-s au monde du travail (ici, il faut entendre le mode de production axé sur le profit); d’inculquer la soumission aux règles de celui-ci, avec beaucoup de difficultés à les questionner et les remettre en cause alors même qu’elles menacent les conditions d’existence, avec le réchauffement climatique. Permettre le débat de société en classe ou inviter des représentant-e-s du GIEC expose les enseignant-e-s à des difficultés. Cette soumission aux règles, c’est ce que le PLR appelle avoir le «sens des responsabilités». De même, le cadre imposé aux enseignant-e-s ne leur permet pas de se préoccuper suffisamment des problèmes des élèves et de leurs familles. Pourtant, ces professionnel-le-s font face aux dégradations sociales que subissent certaines familles et aux conditions de vie qui affectent la santé psychique de certain-e-s élèves ou plus simplement aux malaises de la société comme le fondamentalisme religieux, le sexisme, le racisme ou la violence, etc.
Les enseignant-e-s savent ce qu’il coûte à un-e élève de ne pas «atteindre un certain niveau», soit bien souvent la condamnation à exercer des boulots qui ne permettent pas de s’épanouir et de vivre correctement. Le PLR développe ce marché secondaire du travail au bénéfice d’Uber, Chaskis, Smood et consorts.
Lors de la grève des enseignant-e-s du cycle d’orientation de février à Genève, ils-elles ont exprimé des revendications et mené une réflexion plus large que le refus d’une augmentation du temps de travail. L’enjeu principal de cette mobilisation consistait à faire reconnaître leur travail social en faveur des familles, relégué par le PLR au rang de «charges administratives», et l’impossibilité d’affronter le quotidien professionnel avec des moyens insuffisants. Cela se traduit par des effectifs de classe trop élevés et l’absence de soutien professionnel pour les élèves en grande difficulté. Thierry Burkart a saisi ce ras-le-bol et conclut qu’il faut mettre un terme à l’école inclusive et renvoyer les enfants en institution spécialisée. Les enseignant-e-s revendiquent au contraire une véritable inclusion qui passe par un soutien professionnel sérieux en classe, mais les Burkart et Hiltpold ne sont pas prêt-e-s à accorder ces moyens indispensables.
Le projet politique de la droite pour l’école est clair, même si elle l’exprime par des mots détournés. Notre syndicat et les autres organisations professionnelles peuvent s’y opposer par l’action collective. La reconstruction du sens du métier doit être au cœur de nos préoccupations syndicales. Il est incontournable que l’action collective intègre les nouveaux enjeux du métier d’enseignant-e, que la droite veut occulter, et contribue à construire, ensemble avec les élèves et les familles, un projet pour combattre les inégalités sociales et scolaires.
Paru dans Services Publics n° 9, 16 août 2024