Crise du logement

15 Sep 2019

La crise du logement va bientôt fêter ses 20 ans d’existence et persiste en dépit des politiques publiques menées en faveur de la construction de logements locatifs à loyers abordables. 

L’ensemble des catégories de la population est soumis à la crise qui ne profite qu’aux propriétaires de terrains constructibles, aux promoteurs et aux bailleurs pour lesquels ces deux décennies ont été une merveilleuse période de vaches grasses qu’ils tentent de maintenir artificiellement en bloquant politiquement la réalisation de près de 4000 logements. 

Dans le débat qui fait rage autour de cette problématique, certains tentent d’opposer les locataires en peignant les migrants, quel que soit leur statut, comme la cause des loyers exorbitants. Ils omettent de considérer que les loyers ne sont pas une loi naturelle mais déterminés par un contrat dont le contenu est, dans la quasi-totalité des cas, décidé par le bailleur. Ce dernier n’est jamais contraint de pratiquer un loyer abusif.

Pour répondre à cette critique, il est utile de se pencher sur la situation des salariés de la Genève internationale, des entreprises multinationales et des migrants sans papier. 

Il faut rappeler la règle d’or des bailleurs et des promoteurs : 

L’offre de logements qu’ils représentent s’intéresse avant tout à la demande la plus solvable. Dans cette perspective, les salariés des entreprises multinationales et la Genève internationale leur offrent des perspectives alléchantes. 

En effet, les entreprises multinationales produisent à l’échelle mondiale et localisent leurs bénéfices dans des paradis fiscaux ou des pays où ils bénéficient des taux d’imposition les plus bas. Elles s’installent à Genève principalement pour ce motif. Ceci signifie que leurs établissements en Suisse servent à accueillir des états major de l’entreprise, soit des salariés dirigeants aux revenus élevés.

 Pour faciliter leur installation et s’assurer que ces salariés acceptent de s’installer à Genève, il arrive que ces entreprises offrent des avantages sous forme, notamment, de participation au paiement du loyer.

 Ces salariés sont des locataires particulièrement vulnérables même si leur situation économique favorable les place dans une situation moins précaire que les locataires à petits revenus qui sont quant à eux purement et simplement exclus du marché locatif privé. Il n’en demeure pas moins que ces salariés locataires sont les premières victimes des pratiques des bailleurs genevois. Elles sont en effet, paradoxalement, moins enclines à faire valoir leurs droits et cela pour plusieurs motifs.

 En premier lieu, l’accès au logement est pour elles étroitement lié à leur travail. Bien souvent, les entreprises mandatent des agences de relocation qui fournissent des contingents de logement. En quelque sorte, le fonctionnement d’entreprise dépend de la capacité de ses agences à trouver des appartements. Les salariés locataires qui feraient valoir leurs droits risquent ainsi de menacer la possibilité pour les agences de relocation de fournir des logements. 

La pratique de l’ASLOCA fournit plusieurs exemples de locataires employés de sociétés multinationales qui, après avoir contesté le loyer initial exorbitant, se sont vus convoqués par leur employeur qui les a fortement incités à retirer la procédure à la suite de plaintes d’agences de relocation de régies ou de bailleurs. Sachant que le droit suisse du travail est quasi inexistant, ces menaces sont particulièrement efficaces en dépit des règles sur la protection des locataires contre les représailles.

 Pour les salariés locataires qui ne bénéficient pas du soutien de leur employeur et qui cherchent un logement par leurs propres moyens, ils se trouvent la plupart du temps en situation d’urgence et donc particulièrement à la merci de leur bailleur. C’est ainsi que, bien souvent, ils sont contraints de conclure des contrats dont les clauses sont dictées par le bailleur dans son unique intérêt. 

A titre d’exemple, il est fréquent que les baux de longue durée soient imposés à ses locataires avec un loyer très élevé. Après avoir emménagé, si le locataire poursuit ses recherches et trouve un appartement au loyer plus favorable, il ne pourra se départir du contrat sans trouver un locataire de remplacement, tâche particulièrement difficile si le loyer est élevé. Dans ces circonstances, le locataire peut être tenu de prendre en charge le loyer jusqu’à ce que le bailleur trouve lui-même un nouveau locataire jusqu’à concurrence de la durée du contrat. Ces types de situation, fréquents en pratique, peuvent coûter plusieurs milliers voire dizaines de milliers de francs aux salariés locataires concernés. 

D’une manière plus générale, il sied de relever que le droit du bail est soumis à un régime de surveillance et non de contrôle qui est particulièrement plus efficace pour ce type de locataires. En effet, le régime de surveillance signifie que c’est au locataire de faire valoir ses droits en saisissant la juridiction des baux et loyers. Pour faciliter ces démarches, le droit prévoit que le locataire soit informé par le biais de formules officielles qui sont en français et rédigés en des termes trop complexes pour une personne qui ne maîtriserait pas cette langue. Les délais étant de 30 jours, ces locataires ne parviennent la plupart du temps pas à agir, si tant est qu’ils comprennent qu’il leur est possible de le faire. 

Afin de tenter de palier cet obstacle, l’ASLOCA tente de faire de l’information auprès des salariés de la Genève internationale. Elle a donné plusieurs conférences à l’ONU et à l’OMS. 

La situation des migrants sans papier est plus difficile encore. Le projet de régularisation PAPYRUS a mis en lumière que plus de 13’000 personnes vivraient à Genève sans permis de séjour. La stupide brutalité de la loi fédérale sur les étrangers, concoctée dans les cuisines de l’UDC, fragilise la situation de ces migrants qui vivent dans la peur d’une arrestation et d’une expulsion malgré parfois des durées de séjour très longues. 

Ces personnes représentent des proies particulièrement faciles pour certains bailleurs qui sont en mesure, de par le contexte juridique, de leur imposer des conditions léonines en leur faisant craindre une dénonciation au Ministère public et à l’Office cantonal de la population et des migrations. 

A ce problème s’ajoute la faiblesse du droit du bail. Si ces locataires sont hébergés par leur employeur et qu’il s’agit d’un logement de fonction, l’absence du droit de travail en Suisse prime sur le droit du bail et empêche les plus téméraires d’entre eux de saisir les juridictions pour tenter de faire valoir leurs droits. 

Le terme de « téméraire » est bien choisi puisque, en saisissant les tribunaux, ces locataires s’exposent à un risque de dénonciation étant précisé que les autorités étatiques sont tenues de dénoncer les infractions spontanément au Ministère public.

Le cas de cet article est trop restreint pour formuler des propositions à ces situations complexes. Il est cependant possible de poser quelques lignes qui devraient diriger notre action pour garantir le droit d’accès au logement, partant la dignité humaine.

Il conviendrait tout d’abord de supprimer la clause de deux ans de résidence pour accéder aux logements sociaux et la remplacer par un critère de lien suffisant avec Genève. Si ce dernier critère a pour objectif d’éviter un « appel d’air », on ne comprend pas pour quel motif une personne tenue de vivre à Genève pour des motifs objectifs, tels que son travail, se verrait privée de la possibilité d’accéder à un logement social si sa situation le permet.

Il convient également de renforcer le droit du bail qui est aujourd’hui très largement insuffisant en prévoyant des mécanismes de contrôles automatiques à tout le moins dans certaines circonstances. Compte tenu de la majorité actuelle aux Chambres fédérales, il s’agit dans un premier temps de lutter contre les propositions des milieux immobiliers soutenus par la Droite « PLR, UDC, PDC ». 

Enfin, cette situation appelle une véritable politique sociale du logement qui reste pour l’heure un parent pauvre de l’action de l’Etat.

Texte pour le « Post Scriptum », 2019