Le Conseil fédéral a adopté lundi de nouvelles mesures pour lutter contre la pandémie. Il annonce dégager des moyens financiers pour atténuer ses effets sur l’économie. Il est trop tôt pour juger de l’ampleur de la crise qui se prépare et donc du caractère approprié du soutien annoncé.
D’emblée, il convient néanmoins de veiller à ce que les fonds mis à disposition parviennent aux entreprises menacées de faillite, en particulier les PME, et qu’ils ne soient pas accaparés sous formes de dividendes par les actionnaires.
Outre ce fonds de soutien, le gouvernement fédéral doit urgemment décider de suspendre les délais juridiques et judiciaires. La majorité des habitant.e.s et des entreprises PME[1] sont locataires. Les pertes de revenus et de chiffres d’affaires risquent d’entraîner des mises en demeure et des résiliations de baux. Les coûts de mise à disposition des locaux commerciaux et des logements pèsent très lourds sur les budgets des entreprises et des ménages, qui sont à flux tendus et ne peuvent pas assumer une perte soudaine de leurs chiffres d’affaires et de leurs revenus.
En suspendant les délais prévus dans le Code des obligations, le Conseil fédéral permettrait de sauvegarder bon nombre d’entreprises, qui pourraient reprendre leurs activités une fois la crise passée.
D’une manière plus générale, le droit du bail et la procédure civile contiennent une multitude de délais impératifs. Le Code des obligations est d’une rigueur implacable en matière de retard dans le paiement du loyer. Le locataire, en pareilles circonstances, peut recevoir une lettre de mise en demeure avec une menace de congé. S’il ne parvient pas à « régulariser » sa situation dans les 30 jours, il peut perdre son bail.
Or, le Conseil d’Etat genevois a notamment interdit que plus de cinq personnes se réunissent et invité les seniors à rester chez eux. Ceci impacte considérablement le fonctionnement des bureaux de conseil juridique.
Les conditions d’une protection efficace des locataires sont ainsi mises à mal. Il n’est toutefois pas souhaitable que les justiciables doivent faire face à des injonctions paradoxales : être contraints de rester chez eux pour préserver leur santé et celle de leurs concitoyen.ne.s, tout en étant contraint.e.s de réagir sans délai pour préserver leurs droits.
La Cour européenne des droits de l’homme a déjà fait le pas lundi de suspendre les délais légaux et procéduraux, hormis dans les affaires où attendre pourraient causer un préjudice irréparable. L’ASLOCA a interpellé hier le Conseil fédéral pour qu’il complète ses mesures en ce sens.
Dans l’immédiat, les entreprises locataires dont les locaux ont dû être fermés (par exemple les restaurants), et qui ne peuvent pas régler leur loyer, devraient pouvoir, à nos yeux, se prévaloir d’une impossibilité de les utiliser (art. 119 CO). Autrement dit, le bailleur étant provisoirement dans l’impossibilité – certes sans sa faute – d’exécuter sa prestation qui consiste à permettre au locataire de disposer de locaux exploitables, l’obligation correspondante de payer le loyer est comme suspendue. Puisque l’impossibilité est limitée à la durée des mesures prises par les autorités fédérales et cantonales, elle doit être considérée comme n’affectant pas le maintien du bail.
(article proposé à la publication dans Le Temps)
[1] https://www.pme.ch/entreprises/2019/02/15/patrons-suisses-ne-revent-detre-proprietaires