Eléments de décor

13 Jun 2023

Cette chronique se veut une contribution au débat sur le logement qui se déroule dans le contexte politique actuel, émaillé d’attaques contre les droits des locataires, inscrits dans la loi à la suite des mobilisations des années 1970 et 1980. Des propositions des parlementaires fédéraux Feller (Fédération romande immobilière), Nantermod (Union suisse des professionnels de l’immobilier) et Egloff (HEV Suisse, faîtière des propriétaires fonciers) ont été acceptées dans leur principe au parlement et sont en cours de concrétisation. Ces initiatives sont habilement conçues: elles maintiennent une apparence de protection des locataires, tout en atténuant la portée effective de la protection contre les congés et les loyers abusifs. Elles sont sous-tendues par l’idée que le marché répondrait efficacement aux besoins en logement.

Le Conseil fédéral, sous la houlette de Guy Parmelin, s’efforce de construire un récit qui voile l’incapacité du droit du bail à protéger les locataires. Les défenseurs de la rente foncière au parlement ont fait obstacle en 2020 à toute solution politique au problème des locataires commerciaux contraints de fermer boutique à cause du Covid. Leur discours s’est étoffé cette année pour contrer les revendications des locataires concernant les travaux d’assainissement énergétique1. Le Conseil fédéral a payé un sondage – dont la méthodologie est critiquable – qui conclut https://www.admin.ch/gov/fr/accueil/documentation/que «le droit du bail dans sa forme actuelle (…) est fondamentalement satisfaisant». Ce point de vue, teinté d’un vernis pseudo sondagier, a servi de préambule et de conclusion à Guy Parmelin lors de la table ronde du 21 juin 2021 à laquelle étaient conviés les milieux immobiliers et l’Asloca.
La question du logement s’inscrit aussi dans un contexte économique à garder à l’esprit: le premier pas pour aborder les rapports concrets et déterminés de la société n’est-il pas d’apprendre à les connaître, et de les analyser dans le contexte économique qui est le leur2? On peut le brosser à grands traits comme suit. Pour relancer la croissance après la crise sanitaire, les banques centrales inondent les marchés de monnaie. En Suisse, cet argent n’alimente pas seulement la spéculation financière, en particulier celle dans l’immobilier existant. Il est aussi investi dans la construction de nouveaux bâtiments. Une bulle immobilière enfle: «la pénurie de placement créée par l’environnement de taux bas [découlant de la politique monétaire] a fait flamber les prix des biens de rendement» https://www.raiffeisen.ch/content/dam/wwwmicrosites/casa/immobilienstudien/2021/q2-2021/Immobilier_Suisse_2T21_CHL.pdf (p.10). Les rendements ont donc logiquement diminué3. Les investissements dans les rénovations sont devenus d’autant plus prisés pour leur rentabilité4.
Les bailleurs profitent d’un contexte juridique très favorable à leurs intérêts puisque le Tribunal fédéral autorise les congés pour faire des travaux; qu’une ordonnance fédérale permet de répercuter généreusement sur les loyers les investissements d’amélioration énergétique; que la jurisprudence récente est à l’écoute des milieux immobiliers.
Enfin, le contexte climatique pourrait devenir une source de grands profits – tirés au détriment des locataires – si la politique climatique ne s’accompagne pas d’un renforcement de la protection fédérale et cantonale des locataires5. Cela ne sera possible qu’avec une mobilisation coordonnée des locataires, des habitant·es et des activistes du climat. Toutes et tous devront garder à l’esprit qu’une politique climatique sans justice sociale est un non-sens et que les milieux immobiliers tenteront comme toujours de diviser pour mieux régner.

Christian Dandrès est Conseiller national et juriste à l’Asloca.

L’auteur de cette chronique s’exprime à titre personnel.

Chronique parue dans Le Courrier.