Nous y sommes. L’Assemblée fédérale débat cette semaine, en dernière phase, des deux premiers textes des milieux immobiliers concernant les congés abusifs. Cette phase est la plus délicate puisqu’il s’agit de combattre des textes présentés comme destinés à lutter contre des abus.
Le premier texte concerne la sous-location. Les milieux immobiliers prétendent s’opposer aux plateformes numériques (Airbnb). En réalité, ils suppriment le droit du locataire à sous-louer. Les propriétaires veulent décider souverainement d’accorder ou non l’autorisation de sous-louer. Gageons qu’ils ne donneront leur aval que si le loyer est élevé et le locataire très solvable, pour conserver un bon client. Les autres devront rendre leur logement pour le moindre séjour à l’étranger.
Le deuxième texte est présenté comme destiné à aider celles et ceux «qui se lèvent tôt et ont économisé pour l’achat d’un appartement». Dans l’Arc lémanique comme dans les agglomérations, le prix d’une PPE dépasse allègrement les 8000 francs par mètre carré. Ne devient pas propriétaire qui veut. Cette proposition n’y changera rien, mais elle rendra la vie plus dure aux locataires en facilitant les congés. Il suffira au bailleur de prétexter son intention d’occuper le logement ou le besoin d’un proche pour résilier le bail. Les milieux immobiliers en profitent aussi pour supprimer la protection contre les congés de représailles dont bénéficie aujourd’hui le locataire qui a fait valoir ses droits.
La majorité de droite ne veut pas en rester là. Après ces propositions viennent deux autres textes parlementaires qui supprimeraient la contestation du loyer initial et fixeraient légalement les loyers sur le marché de pénurie. Cette dernière proposition pourrait aussi entraîner des vagues de congés dits «économiques» consistant à chasser le locataire en place pour relouer plus cher.
Si ces propositions étaient adoptées, il ne resterait plus grand-chose de la protection contre les loyers et les congés abusifs. L’Asloca lancera donc le référendum.
Il ne suffit cependant pas de repousser ces attaques, il faut proposer des solutions pour résoudre la crise du logement. La protection contre les loyers abusifs doit être améliorée. L’Asloca se prépare donc à lancer une initiative populaire. Pour répondre au besoin des locataires, celle-ci devrait au moins intégrer quatre aspects:
a) Le secteur privé lucratif détient la majorité des logements. Il ne suffit donc pas de poser une règle. Il faut la faire respecter, ce qui impose de changer le système actuel qui impute aux locataires la tâche de faire respecter la loi, par voie judiciaire qui plus est. L’initiative devra prévoir un contrôle automatique s’imposant à tous les bailleurs et que le locataire pourra vérifier (transparence).
b) Le calcul de rendement met en lumière l’ampleur du profit qu’obtient le bailleur du seul fait de la propriété du sol (rente foncière). Ce profit doit être réduit substantiellement. Il est aujourd’hui de 3,25% net sur les fonds propres utilisés par le bailleur pour acheter ou construire l’appartement, bien plus que l’intérêt de nos comptes d’épargne.
Il faut aussi que les bulles immobilières ne se répercutent pas sur les loyers, en limitant la part du prix d’acquisition du logement que le bailleur est en droit d’inclure pour le calcul du loyer. Un tel système existe concernant le prix du sol, pour les constructions en zone de développement à Genève (PA/SI/001.06)1.
Le critère de fixation des loyers selon l’usage dans le quartier devra être remplacé par une modélisation tenant compte de la manière dont les immeubles doivent être financés, plutôt que de la statistique des loyers sur un marché de pénurie.
c) Il faut corréler le niveau des loyers avec les revenus. Ce principe existe déjà dans les lois genevoise (LDTR), vaudoise (LPPPL) et bâloise de protection des locataires qui plafonnent les loyers après travaux en fonction du salaire médian. Ce plafonnement est toutefois temporaire et limité aux travaux à plus-value.
Reste un problème: comment faire baisser les loyers déjà abusifs des baux existants? La proposition de Jacqueline Badran, membre du Comité de l’Asloca et conseillère nationale (ZH), offre une piste. Les bailleurs devraient soumettre à examen les rendements de chacun de leurs immeubles tous les cinq ans et réduire les loyers des baux en cours pour atteindre les rendements maximums admis.
Christian Dandrès est conseiller national et juriste à l’Asloca. Il s’exprime ici à titre personnel.
Chronique parue dans Le Courrier.