L’inflation et la hausse des taux d’intérêt réduisent le pouvoir d’achat des ménages1 Elles s’ajoutent aux loyers et aux primes d’assurance-maladie qui ne cessent de croître et écrasent la population. Les locataires vont être doublement impactés puisque les critères de l’évolution du coût de la vie et du niveau des taux d’intérêt ont une influence majeure dans le système de fixation des loyers.
Les bailleurs sont notamment en droit d’indexer les fonds propres investis dans le logement sur l’indice des prix à la consommation et d’obtenir une rémunération de ceux-ci de 2% en plus du taux d’intérêt de référence (arrêt du TF 4A_554/2019 du 26.10.2020).
Il s’agit de mesurer ces risques et de proposer des solutions.
Concernant la hausse des taux d’intérêt, l’impact ne se fera pas sentir immédiatement. Depuis 2008, ce taux est calculé selon une moyenne pondérée des hypothèques, et nombre de celles-ci sont faites sur des durées fixes. Concernant l’inflation, les bailleurs pourront répercuter 40% de l’évolution de l’indice sur les loyers (hors charges) et, pour certains baux conclus pour une durée minimale de cinq ans prévoyant une clause d’indexation, 100% de cette évolution.
Pour s’opposer à une hausse de loyer, le locataire peut en principe invoquer que le loyer augmenté est abusif. Tel est le cas lorsque le loyer procure au bailleur un rendement trop élevé des fonds propres investis. Selon une étude publiée par l’Asloca, les bailleurs ont empoché, entre 2006 et 2021, 78 milliards de francs de manière abusive en ne répercutant pas les baisses des taux et en continuant à augmenter les loyers. La marge de manœuvre du locataire pour invoquer le rendement est cependant limitée: il n’est pas possible de le faire si l’immeuble a été construit ou acquis il y a plus de trente ans; le locataire n’a en outre pas la possibilité de s’opposer à une indexation du loyer dans un bail avec une clause la prévoyant, ni même de demander une correction de son loyer – devenu par hypothèse abusif au fil des indexations – à l’occasion d’une échéance de son contrat (TF 4A_86/2020 du 05.01.2021).
Pour assurer l’effectivité des droits des locataires, le locataire devrait pouvoir s’opposer à une hausse en invoquant le rendement abusif offert par son loyer, même si l’immeuble est ancien et n’a pas été acheté récemment. Pour les baux indexés, dont les caisses de pension et autres bailleurs institutionnels sont friands, la jurisprudence du Tribunal fédéral devrait aussi être reconsidérée au vu du contexte actuel. Le locataire qui ne conteste pas d’emblée son loyer initial ne doit pas être prétérité par ce fait pendant toute la durée du bail (parfois durant plusieurs décennies), son loyer subissant par un effet de boule de neige une augmentation constante. Il ne peut en effet avoir anticipé et accepté que l’évolution de la conjoncture engendre mécaniquement une hausse de son loyer se comptant en dizaines de pourcents! En Suisse, l’inflation atteint déjà 2,5% par rapport à l’an précédent. Si la situation suivait celle de la zone Euro, elle pourrait atteindre 5% à 10% par année.
Concernant les prix de l’énergie (frais de chauffage et d’eau chaude), l’Asloca est intervenue auprès du Conseil fédéral pour le versement en faveur des locataires ayant des revenus modestes d’une allocation de 200 francs à 400 francs par personne, via les subsides d’assurance-maladie. En parallèle, l’Asloca a demandé des mesures d’accompagnement pour faciliter la transition énergétique et éviter qu’elle entraîne de fortes hausses de loyer.
L’Espagne et le Portugal ont obtenu l’autorisation de Bruxelles de fixer une limite aux prix de l’électricité, afin de réduire ces coûts de 30%. La Constitution suisse permet de prendre des mesures urgentes. Le Conseil fédéral l’avait fait dans les années 1970 pour limiter les hausses de loyer. La conjoncture et la crise immobilière imposent un moratoire sur les hausses de loyers, sur le modèle du plafonnement des loyers après travaux que connaissent les cantons de Genève, de Vaud et de Bâle-Ville. Le système pourrait prévoir que le bailleur qui ne parvient pas à obtenir le rendement auquel la loi lui donne droit obtienne un déplafonnement à due concurrence. Ainsi, la charge de démontrer le caractère admissible du loyer incomberait au bailleur et non pas au locataire.
Des mesures doivent être prises sans délai pour empêcher que les loyers ne bondissent pour des motifs conjoncturels, d’autant que l’étude statistique demandée par l’Asloca montre qu’une fois les loyers majorés, ceux-ci ne retrouvent ensuite pas leur niveau d’avant crise («effet-cliquet»).
Chrsitian Dandrès est conseiller national et juriste à l’Asloca.
L’auteur de cette chronique s’exprime à titre personnel.
Chronique parue dans Le Courrier.