Les locataires aussi disent «non» à AVS 21

13 Jun 2023

La votation sur le projet de réforme des retraites AVS 21 pose une question sociale: celle des discriminations fondées sur le sexe, le niveau de formation et de revenu qui détermine les conditions de vie – dont le logement.

De fait, AVS 21 attaque les femmes et les classes moyennes et populaires en démantelant l’un des principaux instruments (modeste) de redistribution de richesse. Cette contre-réforme repousse l’âge de départ à la retraite des femmes et instaure un système «à la carte», où la retraite pourra être prise entre 62 et 70 ans, selon ses moyens. La Confédération prend acte des discriminations sociales et, plutôt que les combattre, cherche à les institutionnaliser. Car le facteur décisif pour «choisir» de continuer à travailler jusqu’à 70 ans ne sera, bien entendu, pas l’attrait du travail – hormis pour quelques professions – mais la nécessité.

AVS 21 vole ainsi des années de vie restantes à la majorité des salarié·es dont l’espérance de vie est plus faible que pour celle et ceux qui se situent au sommet de l’échelle sociale. Une étude1 de 2000 montre qu’à Genève les salarié·es et les pauvres vivent quatre ans de moins. La différence est plus grande encore pour l’espérance de vie en bonne santé: les plus riches sont 20% plus nombreux à ne pas mourir avant la retraite et à y arriver sans invalidité.

L’espérance de vie et l’espérance de vie en bonne santé ne résultent pas pour l’essentiel de choix personnels, mais de sa fortune et de son statut socioprofessionnel. On vit plus vieux et en meilleure santé lorsque l’on exerce un travail reconnu, bien rémunéré et stimulant, qui permet d’accéder à un logement de qualité. Le logement détermine pour beaucoup le bien-être, l’insertion sociale et la santé. Tout d’abord parce qu’un loyer abusif ou excessif en proportion du revenu oblige à couper dans l’alimentation, les soins – le dentiste par exemple – et les loisirs.

La capacité à tisser des liens de famille de qualité, en garantissant une indépendance pour les enfants et pour les parents, est essentielle. Elle dépend de la taille de l’appartement, partant de la capacité financière. Le Covid a contraint la population à rester chez elle et mis en lumière le poids des conditions de logement sur le quotidien des familles. Vivre dans un logement exigu génère et exacerbe les conflits.

La taille et la qualité du logement jouent aussi un rôle sur la scolarité des enfants. Il est difficile de bien étudier sans un lieu approprié où il est possible de se concentrer. Cela est d’autant plus pénalisant en Suisse que la sélection scolaire se fait déjà à la fin de l’école primaire.

Les logements des classes populaires sont aussi souvent situés dans des lieux plus exposés à la pollution atmosphérique et sonore. Les grands ensembles populaires se trouvent dans des quartiers proches d’infrastructures générant de fortes nuisances comme l’aéroport, l’autoroute et les voies de chemin de fer. Des quartiers populaires comme la Servette ou des parties de Vernier sont traversés ou entourés par des axes routiers importants. Le bruit génère du stress et nuit au repos. L’Office fédéral de l’environnement relève que des bruits de 40 décibels déjà peuvent perturber le sommeil. Or, dans les zones habitées, le bruit routier nocturne autorisé est fixé à 55 décibels. Le bruit, qui est à l’origine de maladies cardiaques, a des effets particulièrement délétères sur les enfants et peut entraver leur développement avec des déficits d’attention et de concentration.

La salubrité du logement affecte également la santé. Elle dépend de la qualité des matériaux utilisés et de l’entretien du logement. La moisissure touche un logement sur cinq. Elle est susceptible d’entraîner des maladies pulmonaires et des allergies, surtout chez les enfants. L’environnement du logement, sa qualité et son prix participent à la reproduction des inégalités.

En posant la question de l’espérance de vie, le débat sur les retraites jette une lumière crue sur les inégalités sociales existant en Suisse. Celles et ceux qui réclament la flexibilisation de l’âge de la retraite vivent vieux et en bonne santé, partent à la retraite à la soixantaine, voire avant, pour profiter de la vie, mais ne veulent pas verser un centime de plus à l’AVS, au détriment du reste de la population à laquelle elles et ils imposent des conditions de vie, de logement et de travail dégradées.

Christian Dandrès est conseiller national et juriste à l’Asloca. Il s’exprime ici à titre personnel.

Chronique parue dans Le Courrier.