a session parlementaire d’hiver devra décider de la suite à donner à deux propositions supprimant dans les faits la possibilité de contester un loyer abusif. Dans un contexte d’aggravation de la pénurie de logement et de forte inflation, ce choix revêtira une importance toute particulière pour des milliers de locataires.
Pour rappel, le droit en vigueur cherche à lutter contre les «abus en matière de bail à loyer, notamment les loyers abusifs» (art. 109 de la Constitution). Le principal instrument de protection fédéral est la contestation du loyer initial. Le locataire a trente jours dès la remise des clefs pour contester le loyer imposé par son bailleur en saisissant la commission de conciliation. La logique sous-jacente est que le locataire n’a pas la possibilité de négocier le montant de son loyer avant la conclusion du bail. Il doit donc être autorisé à le faire après la remise des clefs. La loi pose une condition: le locataire doit avoir été contraint de conclure le bail eu égard aux circonstances générales sur le marché locatif ou à sa situation personnelle. En cas de pénurie de logement, le locataire est admis à contester son loyer sans avoir besoin d’invoquer une situation personnelle particulière. Sur le fond, le loyer est fixé soit par un calcul destiné à limiter le rendement du bailleur ou à maintenir le loyer dans les limites de ceux usuels dans le quartier. Les bailleurs invoquent quasiment toujours ce dernier critère pour tenter de tirer profit de la spéculation.
En 2016 et 2017, Hans Egloff, ancien conseiller national UDC, a déposé deux textes parlementaires contre cette protection. Egloff était le président de l’Association suisse des propriétaires. La première de ses propositions vise à supprimer la possibilité de contester son loyer au début du bail dans le cas où la pénurie sévit sur le marché locatif. Egloff précise son but en des termes clairs: «La contestation du loyer initial porte sérieusement atteinte à la foi des contrats, ce qui doit être réservé à des cas absolument exceptionnels. L’argument de la pénurie de logements conçue en termes très généraux ne saurait constituer à cet égard un motif suffisant.»
La seconde proposition permettrait au bailleur de justifier facilement une hausse de loyer. Aujourd’hui, établir un loyer usuel dans le quartier ne se fait pas sur le fondement de statistiques, mais par la production d’exemples de comparaison. Les conditions posées par le droit rendent cette démonstration relativement ardue. Egloff veut assouplir ces conditions et faire sauter un verrou de la protection des locataires. Rappelons par ailleurs que ce critère est aussi utilisé pour résilier un bail.
Justifier des loyers abusifs en se prévalant des loyers excessifs sur un marché de pénurie et empêcher la contestation de tels loyers aggraveraient la spéculation et l’envolée des loyers. Ces propositions sont une deuxième salve de missiles que les propriétaires veulent lancer à la tête des locataires. Pour rappel, deux propositions des milieux immobiliers sont en passe d’être adoptées par les Chambres fédérales, qui augmenteraient la pression sur les locataires en rendant plus simple la résiliation du bail.
Le droit du bail de 1990 résulte du rapport de force découlant notamment de deux initiatives populaires intitulées «Pour une protection efficace des locataires», rejetée en votation populaire en 1977, et «Pour la protection des locataires» retirée en faveur du contre-projet du Conseil fédéral, accepté en 1986. Tout insuffisant qu’il est, le droit du bail offre un cadre minimal de protection contre les loyers abusifs qu’il s’agit de défendre et d’utiliser. Les locataires sont pris au piège par la hausse des taux hypothécaires et l’inflation qui permettent au bailleur de majorer leurs loyers. Contester son loyer initial devient aujourd’hui le seul moyen d’y faire face et de maintenir des logements accessibles pour la majorité de la population. Ceci passe par un refus net au Parlement fédéral ou en votation populaire des manœuvres d’Egloff et de ses successeurs.
Christian Dandrès est Conseiller national et juriste à l’Asloca.
L’auteur de cette chronique s’exprime à titre personnel.
Chronique parue dans Le Courrier.