Pour une meilleure reconnaissance des maladies liées au stress comme maladies professionnelles

04 Jun 2024

Intervention à la tribune du Conseil national le 29 mai 2024. 

J’annonce tout d’abord mes liens d’intérêt: je suis président du Syndicat des services publics.
J’ai repris l’initiative parlementaire de M. Hurni. Aujourd’hui, nous pouvons mener un débat éclairé parce qu’il intervient alors que l’Office fédéral de la statistique (OFS) a publié l’enquête “Conditions de travail et état de santé, entre 2012 et 2022”.
Dans ce document, le constat est très sévère et il est sans doute en dessous de la réalité puisque l’échantillon de l’OFS n’inclut pas des personnes qui ne sont pas des résidents permanents; on n’inclut donc pas les frontaliers, les travailleurs détachés et les personnes sans-papiers. Or, ces catégories de travailleurs sont bien présentes dans les secteurs de la construction, du nettoyage ou des soins à la personne.
L’enquête montre que les risques d’accidents et de maladies professionnels n’ont pas du tout disparu durant cette décennie, bien au contraire. Pour les risques physiques, 45 pour cent des travailleurs y sont confrontés; il s’agit de positions douloureuses, d’expositions à des températures extrêmes, etc. Pour les risques psychosociaux, c’est encore pire: 48 pour cent des salariés y sont confrontés. Il s’agit d’abord du stress, qui a fortement augmenté: en 10 ans, il est passé de 17 à 25 pour cent chez les femmes et de 18 à 21 pour cent chez les hommes.
L’évolution et l’ampleur de la situation montrent que nous sommes face à un problème de santé publique. Les femmes en sont les principales victimes, parce que les conditions de travail sont particulièrement mauvaises dans les secteurs de la santé et du social. On doit pouvoir faire un lien entre ces mauvaises conditions de travail et le sous-financement de ces secteurs.
L’organisation du travail est à l’origine de la plupart des situations pathogènes. Le stress n’est pas une question individuelle, mais il découle de contraintes liées à l’organisation du travail. Les risques psychosociaux consistent par exemple à devoir gérer des conflits avec les clients, les patients ou le public, à devoir assumer des ordres contradictoires, à devoir atteindre des objectifs irréalistes qui forcent à bâcler le travail. Plus l’intensité du travail est importante, plus le stress augmente dans les contextes que je viens de décrire, parce que la surcharge de travail rend impossibles des moments de pause qui sont autant de moments de respiration. C’est particulièrement le cas dans les soins.
Ce contexte de travail s’inscrit dans une logique économique – on doit le dire – qui vise à déshumaniser le travail et les travailleurs. Les politiques de l’emploi qui ont été menées ces dernières décennies font du travail une marchandise. Ces politiques vont fondamentalement dans le sens de ne pas payer les travailleuses et les travailleurs lorsqu’ils ne produisent pas. Le risque entrepreneurial est transféré sur les travailleurs. C’est ça l’objectif. La forme la plus aboutie de cette logique, ce sont les plateformes numériques de travail du type Uber, mais cette situation se généralise dans beaucoup de services et d’entreprises.
Ces politiques sont porteuses de régressions sociales puisqu’elles remettent en cause la prise en compte des moments non productifs, mais qui sont aussi socialement nécessaires, comme les congés payés, la rémunération en cas d’absence pour maladie et plus généralement la retraite. Le modèle de profit repose aussi sur la précarisation des statuts comme la sous-traitance, le travail intérimaire, le travail sur appel. Cette précarisation a des conséquences terribles, parce qu’elle sape les bases de la vie sociale, familiale ou affective. Lorsqu’on est en situation d’insécurité matérielle permanente, on ne peut pas se projeter dans la vie. La précarisation de ces statuts expose aussi les travailleurs à des risques d’accident. Les sous-traitants et intérimaires ne connaissent évidemment pas les processus de l’entreprise, ce qui rend difficile la tâche pour les autres personnes qui travaillent dans ces services qui, en plus de devoir assumer des surcharges de travail, doivent encadrer ces personnes.
Les conditions de travail sont évidemment une question politique et pourtant elles restent pour l’essentiel soumises aux seules décisions de l’employeur. Démocratiser le travail est donc une tâche de première importance et c’est un objectif qui est largement soutenu par la population comme en atteste l’acceptation de l’initiative sur les soins infirmiers il y a quelques années.
L’initiative parlementaire Hurni reste en deçà de cet objectif, mais elle permettrait quand même de socialiser les conséquences des mauvaises conditions de travail parce qu’aujourd’hui ces risques sont couverts uniquement par l’assurance-maladie et pas par l’assurance-accidents, ce qui a trois conséquences. La première conséquence, c’est la mauvaise couverture pour les travailleurs, parce que les salariés, lorsqu’il s’agit de la LAMal, sont souvent mal assurés avec des franchises élevées, ce qui induit des renoncements aux soins. La deuxième conséquence est un transfert des charges des employeurs, qui organisent le travail et qui génèrent des pathologies, vers les assurés puisque les employeurs ne versent pas un centime au financement de la LAMal.
Et puis, évidemment, il y a la question de la prévention des risques. La LAA prévoit une base légale spécifique pour pouvoir financer cette prévention, qui est au coeur du dispositif. On n’a pas cela avec la LAMal.
Il est donc nécessaire d’adapter la LAA aux risques et aux besoins actuels, et c’est ce que propose cette initiative à laquelle je vous demande de donner suite.