Chronique publiée dans Le Courrier le 11 juin 2024.
En 2023, la population en Suisse a augmenté de 1,6% par rapport à l’année précédente. Dans un contexte de recul de la natalité, cette croissance résulte de l’immigration et de l’espérance de vie. La Suisse est intégrée au marché unique européen et l’immigration est liée à l’accord de libre-circulation des personnes avec les pays de l’Union européenne (UE). Entre 2022 et 2023, l’immigration dans la population résidente étrangère concernait pour 71,9% des personnes issues de l’UE. D’un point de vue économique, «la libre-circulation intra-européenne de la main-d’œuvre permet de mieux apparier le capital et le travail en permettant aux travailleurs d’aller là où ils sont les plus productifs […].»1 Ainsi, l’immigration est un élément dans le processus de production et de valorisation du capital. Les immigré·es se regroupent en Allemagne, en Suisse, en Autriche et dans les pays du Bénélux, soit l’Hinterland productif allemand.
Pouvoir payer un loyer pour se loger est un élément de la rémunération nécessaire à la reproduction de la force de travail. Or le logement est en même temps un instrument pour l’accumulation du capital; les bailleurs sont en Suisse de grandes sociétés actionnaires de nombreuses entreprises. Les taux de profit des entreprises n’étant pas à la hauteur des attentes, du fait des crises de suraccumulation et de l’augmentation du capital fixe des entreprises – par exemple, la méga-usine de batteries du groupe Stellantis qui doit ouvrir en Italie a nécessité un investissement de 2 milliards d’euros ainsi que l’association de trois géants, Stellantis, TotalEnergies et Mercedes-Benz –, l’augmentation de ces taux de profit se fait notamment au détriment des salaires réels, via l’inflation, en particulier des loyers.
En Suisse, cette pression va augmenter avec le démantèlement du droit du bail. Les bailleurs veulent aussi élargir le nombre de logements concernés par des hausses de loyers. Ils s’attaquent donc à la partie du parc immobilier dont les loyers sont les plus bas du fait de l’existence de baux plus anciens. Depuis le début de l’année, une offensive est menée contre les seniors. Ces derniers seraient responsables de la crise du logement parce qu’ils et elles occuperaient des logements trop grands.
La Raiffeisen2 a ouvert les feux en relevant que les retraité·es occupent en moyenne 55 m2 par personne contre 39 à 45 m2 pour les 25-50 ans. Elle conclut que 450’000 personnes trouveraient facilement un logement si les locataires âgés déménageaient. Le raisonnement est trempé d’économisme grossier et se résume ainsi: si le bailleur pouvait imposer au locataire en place un loyer aussi élevé qu’à un nouveau locataire, le premier quitterait son logement pour un appartement plus petit et moins cher.
En avril, l’Office fédéral du logement (OFL) a publié l’étude «Analyse de l’évolution des loyers anciens dans le contexte d’indices de loyers établis» qui poursuit dans ce sens en mentionnant que «ce sont les loyers proposés qui ont le plus augmenté, alors que les loyers anciens n’ont guère évolué depuis 2009». La différence est grande: 33,45 à Genève, 31,3% dans le canton de Vaud. Dans une deuxième étude réalisée avec l’Association suisse des propriétaires (HEV) publiée en mai 2024, l’OFL insiste sur l’importance de l’immobilier pour l’économie. Elle est suivie d’une autre étude, parue en juin, qui tire les mêmes conclusions que la Raiffeisen.
Cette campagne a des enjeux économiques, sociaux et politiques. Economiquement, suivre la voix préconisée par la Raiffeisen et les bailleurs permettrait à ceux-ci d’augmenter massivement leurs profits. En reprenant les données susmentionnées, les loyers de 150’000 logements – la taille du canton de Fribourg – augmenteraient d’un tiers. A l’inverse, les locataires seraient contraint·es de partir ou de réduire leurs standards de vie en sacrifiant d’autres postes de leurs budgets. Politiquement, l’UDC veut faire de la crise du logement un élément moteur de son initiative anti-immigration «Pas de Suisse à 10 millions».
De même, comme lors de la campagne contre l’initiative des syndicats pour la 13e rente AVS, la droite a opposé les générations. On discrimine des groupes sociaux pour mieux démanteler les droits de toute la population. Or la solution consiste à permettre que ces loyers puissent demeurer durablement abordables et le rester au fil des générations et des locataires, ainsi qu’à sortir un maximum de logements de la logique de profit en les confiant à des bailleurs sans but lucratif.