(texte d’une intervention que je n’ai pas pu faire le 19 juin 2020 au Conseil national, pour des raison d’organisation des débats, à propos du dernier rapport de Haute surveillance de l’Assemblée fédérale concernant la NLFA)
La surveillance du Parlement vise à améliorer l’action publique et à permettre de résoudre des problèmes.
Dans ce cadre, je voudrais formuler 3 observations : concernant les risques, concernant les conditions de travail et concernant la mémoire de ce projet.
Concernant les risques :
Parmi les « points chauds » identifiés, je crois utile d’évoquer celui qui découle d’un grave manquement d’entreprises adjudicataires.
Des tubes de drainage installés dans le tunnel du Saint-Gothard ne correspondent pas à la qualité promise et vont devoir être remplacés avant le terme prévu (50 ans).
Un accord a été trouvé en 2015 par les CFF avec les 2 consortiums fautifs qui ont versé 12 millions à titre de réparation.
Concernant les conditions de travail :
Ces chantiers ont été menés par des consortiums regroupant de nombreuses entreprises suisses et étrangères et des grands groupes internationaux.
Les salariés ont été soumis à des contraintes très fortes et les infractions à la loi et aux CCT ont été régulièrement dénoncées notamment par UNIA.
Les contrôles ont été rendus difficiles par la présence de nombreux sous-traitants.
Plusieurs scandales ont défrayé la chronique, comme la situation des mineurs sud-africains qui creusaient le puit de Sedrun, profond de 800 mètres, avec des tournus de 12 heures sans pause et auxquels leur employeur imposait des déductions illégales de salaires.
Le rapport de la Délégation fait également état d’irrégularité dénoncées dans les décomptes des horaires de travail, concernant des entreprises du consortium « Mons Ceneris » (p. 1353, 1354).
Le risque lié au tuyau de drainage et les problèmes de non-respect des conditions de travail montrent l’importance du contrôle de tels chantiers.
La réponse du maître d’ouvrage Alptransit, filiale des CFF, est fondamentalement différente :
pour les tuyaux de drainage, le rapport mentionne que le maître d’ouvrage s’est montré très actif et a obtenu le paiement de tous les dommages (rien n’a été omis), jusqu’au remboursement du renchérissement sur le montant à déduire de la valeur du matériel.
Pour l’exploitation des salarié et la mise en danger de leur santé : le rapport (p. 1354) mentionne que le maître d’ouvrage n’avait pas accès à la documentation du personnel des sous-traitants.
Il ne précise d’ailleurs pas si ces documents ont été demandés par Alptransit.
La Délégation conclut en prétendant qu’il n’appartient pas au maître d’ouvrage d’enquêter sur ces situations et que celui-ci peut se contenter d’un simple rappel à la loi pour les consortiums.
Pourtant le respect des conditions de travail fait partie du cadre imposé aux adjudicataires, tout comme la qualité des produits à fournir.
Ceci démontre qu’en pratique, les salariés doivent défendre eux-mêmes leurs droits, ce qui est difficile :
Les travailleurs ne sont pas protégés lorsqu’ils se plaignent de même que les délégués qui font états des infractions.
La Suisse ne respecte toujours pas le droit international puisque les délégués peuvent être licenciés sans réintégration, malgré des recommandations de l’OIT demandant à la Suisse d’accorder la même protection aux délégués que celle prévue dans la loi sur l’égalité entre femmes et hommes.
Et quand bien même, si les salariés démontrent avoir été grugés, le maître d’ouvrage n’interviendra pas pour s’assurer que leur employeur paie ce qui leur est dû.
Restent les tribunaux.
Mais peut-on croire que les mineurs Sud-Africains ou leurs familles, pour ceux qui sont morts, ont concrètement la possibilité d’agir en justice dans leur pays puis de venir recommencer une nouvelle procédure en Suisse contre la filiale des CFF s’il n’ont pas été payés ?
Il faut donc un changement radical de pratique et que les maîtres d’ouvrages s’assurent désormais que les salariés victimes d’infractions aux conditions de travail soient totalement indemnisés.
Quelques mots encore sur la mémoire collective de ce projet historique :
La NLFA a marqué l’histoire politique suisse, en sus d’être une prouesse technologique.
C’est donc à juste titre que la Délégation s’est préoccupée de sa mémoire et qu’elle a permis la mise en place d’un site internet d’information.
Ce site est toutefois quasi-muet sur la dimension sociale de ces chantiers, sur les milliers de travailleurs qui ont creusé ces montagnes et dont plus d’une dizaine ont perdu la vie.
On ignore qui ils étaient, d’où ils venaient et quelles étaient leurs conditions de travail.
Le bilan social des NLFA reste donc à faire.
Sur la base de cette expérience, il faut également adopter un train de mesures pour mieux protéger la santé et les conditions de travail des salariés.
A l’heure où s’ouvre le débat sur l’initiative de limitation, il semble plus nécessaire que jamais de rappeler cet impératif : la libre-circulation est un droit fondamental des salariés qui doit être lié à des droits sociaux et syndicaux.