Pour un véritable contrôle des loyers en Suisse

24 Aug 2021

Le droit au logement vise à ce que les locataires soient protégés. Le droit du bail est insuffisant. Le locataire qui conclut un bail aujourd’hui, alors que les loyers sont excessifs, et qui ne conteste pas le loyer initial, ne pourra plus obtenir de baisse significative dans le futur.

Le système actuel de contestation du loyer initial ou d’opposition à une hausse de loyer doit donc être complété, pour assurer l’effectivité de la protection des locataires contre les abus.

Le système de surveillance des loyers prévu par le droit actuel est lacunaire. Il laisse au locataire la charge de contester le loyer initial ou la hausse de loyer et lui impose de devoir faire un procès. Cette démarche est souvent jugée insurmontable, malgré les bons résultats qu’elle permet d’obtenir. En effet, même avec un rendement maximal de l’investissement du bailleur, fixé désormais par le Tribunal fédéral à 3,25%, contester son loyer initial permet d’obtenir des baisses de loyer. Dans l’affaire d’octobre 2020 qui a abouti à un changement de jurisprudence au détriment des locataires, le loyer est ainsi passé de 2’190 à 1’390 francs, pour un appartement de 4,5 pièces d’une surface de 101 m2.

La statistique des procédures de conciliation atteste que les locataires sont malheureusement peu nombreux à faire valoir leurs droits. La protection contre les loyers abusifs reste ainsi lettre morte. L’ASLOCA doit donc non seulement défendre le principe du loyer fondé sur les coûts et la limitation des rendements des bailleurs, mais également revendiquer un système plus efficace de contrôle des loyers.

Cette solution peut passer par un contrôle périodique, comme le propose Jacqueline Badran (initiative parlementaire 21.469) ou par un système de contrôle administratif des hausses de loyer. Les locataires ont bénéficié de ce dernier durant plusieurs décennies au long du XXe siècle et il existe pour les majorations de loyer après travaux dans plusieurs cantons (Genève, Vaud, Bâle-Ville).

Le contrôle des loyers est présenté par les milieux immobiliers comme un monstre bureaucratique. Le cas genevois démontre le contraire.

Le contrôle des loyers a été adopté par le peuple à Genève en 1983 avec la loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maison d’habitations (LDTR), à la suite d’une initiative du Parti socialiste. La LDTR vise à permettre aux locataires de rester dans leurs appartements à des conditions abordables après des travaux de rénovations. 

Concrètement, le bailleur soumet à l’administration, avec la demande d’autorisation de construire, un formulaire qui permet de calculer les loyers admissibles après travaux. Ce calcul se fonde sur la jurisprudence du Tribunal fédéral concernant les hausses de loyer pour travaux à plus-value. L’administration vérifie la validité des hausses en amont, à la place du juge. Ce contrôle est ainsi fait pour tous les locataires de l’immeuble et pas uniquement pour ceux qui ont les moyens et l’énergie de faire un procès à leur bailleur. Le contrôle est en effet automatique.

A cela s’ajoute un plafonnement temporaire des loyers à un niveau abordable, afin que les logements restent accessibles même après travaux. Le plafond est fixé à 3405 francs par pièces et par années (la cuisine comptant comme pièce, le loyer s’entendant charge de chauffage et d’eau chaude non comprises), pour trois, cinq ou 10 ans, selon l’importance des travaux. Les loyers qui étaient déjà avant travaux supérieurs à cette limite sont maintenus pendant la durée du contrôle, qui ne s’applique pas aux logements dont le loyer est avant travaux supérieur à 8512 francs par pièces et par an.

Le contrôle des loyers n’a que peu d’impact sur la durée de la procédure d’autorisation qui en général peut être délivrée en moins de 30 jours. Le travail administratif est limité pour le bailleur, qui se borne à remplir un formulaire numérisé indiquant la liste et les coûts des travaux. 

En principe, ce contrôle prend à l’administration trois à cinq heures de travail par autorisation, si le bailleur collabore et respecte la loi. Une autorisation concerne souvent plusieurs logements. En 2019, 71 autorisations LDTR ont été délivrées à Genève, concernant 282 logements. Si le bailleur dépose une requête d’autorisation non conforme, qui doit faire l’objet d’un suivi, le travail peut être plus important. En 2019, la moitié des dossiers étaient conformes, 39% des demandes ont dû faire l’objet d’un suivi et de relances (environ 15h de travail) et 10% seulement ont donné lieu à une procédure administrative. En tout, 952 heures de travail ont été consacrées aux contrôles. Cela correspond à près de la moitié d’un poste de travail pour l’administration !

Cela démontre, outre l’ampleur des abus des bailleurs concernant les loyers après travaux, que ceux-ci peuvent être combattus sans effort pour les locataires et à très faibles coûts pour l’Etat. Ces chiffres doivent être comparés avec les dizaines d’heures nécessaires, lorsque le locataire est contraint d’agir en justice : deux avocats ou juristes sont souvent mandatés, entendus par un à trois juges, assistés de greffiers, etc.

Autre avantage : le contrôle profite non seulement aux locataires en place, mais aussi ceux qui habiteront le logement durant trois, cinq ou 10 ans après les travaux, ce qui a pour effet d’éviter les congés-rénovation qui pullulent de nos jours, notamment en Suisse alémanique. Le bailleur n’a aucun intérêt à changer de locataire vu qu’il ne pourra pas relouer plus cher à un tiers après travaux. Il préfèrera donc garder le locataire en place durant les travaux, pour éviter une perte de loyer pendant ceux-ci.

Enfin, le nombre important d’autorisations délivrées dément aussi le mythe que cela pousserait les bailleurs à ne pas rénover. L’investissement reste en effet rentable dans la conjoncture actuelle.

Le contrôle des loyers est une solution simple, efficace et peu coûteuse pour protéger les locataires, lutter contre la spéculation et garder des logements abordables en ville.

(Article à paraître dans le prochain numéro de Mieten + Wohnen, le journal de l’Asloca en Suisse allemande.)