Monsieur Bregy l’a dit, cette proposition était une réaction de M. Minder a un fait divers qui s’est passé dans son canton; en effet, un djihadiste avait tenté de changer de nom avant son expulsion du pays.
On comprend la logique de l’UDC: le but serait de “marquer” les personnes frappées d’une décision d’expulsion. Donc en refusant à ces personnes la possibilité de changer de nom, elles resteraient, en quelque sorte, reconnaissables par la population et par le public. On semble comprendre aussi que la volonté de l’UDC est de compter sur la vindicte populaire comme supplétif à l’action de la police cantonale et du Service de renseignement de la Confédération.
Si on commence à analyser plus en détail cette proposition et qu’on voit que c’est cela le but, alors pourquoi est-ce qu’on limiterait cette interdiction de changement de nom uniquement aux personnes condamnées à quitter la Suisse? On pourrait avoir l’impression qu’elle serait beaucoup plus efficace si elle s’appliquait aux condamnés qui, au contraire, sont appelés à rester en Suisse.
De même, si on veut suivre la logique de l’UDC, il serait préférable que la personne change de nom avant de quitter la Suisse plutôt qu’une fois qu’elle s’est installée à l’étranger. Du coup, cette personne serait plus facilement identifiable en cas de retour éventuel en Suisse, à la fin de la période d’expulsion. Il existe aujourd’hui des échanges de renseignements entre les Etats, mais ils peuvent connaître des défaillances. Le fait que la personne reste identifiée sous le même nom serait évidemment un avantage lorsqu’elle revient en Suisse.
La minorité a relevé que cette mesure ne sert absolument à rien pour les autorités de poursuite pénale puisque le passé pénal d’une personne est consigné dans son casier judiciaire qui peut être consulté, selon la loi, par près d’une quinzaine d’autorités chargées notamment de la migration et de la sécurité dont le Service de renseignement de la Confédération. Le fait que la personne change de nom ne va pas faire disparaître les inscriptions qui se trouvent dans son casier judiciaire. En revanche, cette proposition aurait un impact sur la situation de la personne condamnée à l’expulsion. On est vraiment hors du système pénal qui intègre la question de la réinsertion des condamnés, tant dans leur intérêt que dans celui d’ailleurs de la société. Or, une réinsertion réussie permet d’éviter les récidives; c’est tout particulièrement important dans le cadre de la radicalisation et du terrorisme. Cet objectif peut parfois passer par le changement de nom, notamment dans les cas où le procès a été médiatisé et où la réputation du condamné peut le précéder. C’est tout particulièrement important pour les extrémistes religieux, comme je l’ai indiqué. Il faut donc laisser une marge de manoeuvre à l’autorité, c’est ce que propose la minorité, pour admettre ou non le changement de nom et ne pas poser un carcan législatif aussi strict qui pourrait même parfois avoir l’effet inverse que celui prétendument recherché, soit la sécurité de la Suisse de sa population.
L’administration n’admettra un tel motif de changement de nom qu’en présence d’une personne qui entend se réinsérer et non pas pour faciliter l’engagement des djihadistes en rendant leur identification plus difficile à l’avenir.
C’est le lieu de rappeler que tous les criminels expulsés ne sont pas nécessairement des djihadistes ou des pédophiles et qu’il se peut que le motif invoqué pour changer de nom n’ait aucun rapport avec la volonté de disparaître des radars.
Refuser par principe le changement de nom peut léser des intérêts importants de la personne, sans que le refus soit en lien avec l’activité criminelle – cela peut par exemple découler d’impératifs familiaux.
Ce refus obligatoire pourrait être une sorte de triple peine: condamnation, expulsion et refus de prendre en compte un intérêt légitime au changement de nom.
L’UDC nous propose donc soit une mesure de sûreté intérieure qui pourrait se retourner contre la sécurité de la Suisse, soit une peine qui contrevient aux principes du droit pénal.
Quelle que soit la logique, le résultat est le même, soit une proposition frappée au coin de l’actualité politique du moment et qu’il convient de rejeter. Il ne faut pas modifier des règles aussi importantes sur le coup d’une affaire comme celle-ci.
La minorité vous invite donc à rejeter cette proposition et à réfléchir à des mesures qui puissent éviter la radicalisation de personnes résidant en Suisse plutôt qu’à emboîter le pas avec des mesurettes de ce type.
Dans ce domaine il reste beaucoup à faire. Le Conseil fédéral a posé un cadre à l’initiative, à l’instar d’autres pays, puisqu’un travail international a été fait, à commencer par une prévention qui repose sur l’éducation et la réinsertion; je parle là de lutter contre la radicalisation des jeunes.
La radicalisation relève très souvent en Europe d’un problème identitaire ou d’une conception du monde fondée sur la violence.
La radicalisation religieuse intervient souvent dans un contexte sociétal et familial chaotique – vous avez des rapports qui ont été pondus par le Conseil fédéral ainsi que par d’autres pays, notamment la France. On constate que les jeunes concernés multiplient souvent les échecs, notamment scolaires, problèmes familiaux, difficultés économiques.
On doit constater que la radicalisation n’est pas toujours un choix définitif. Si l’on fait un travail sérieux de prévention et de réinsertion de la personne concernée, on a là la meilleure solution pour garantir la sécurité des personnes et la sécurité de notre pays.
On est évidemment très loin des propositions faites par M. Minder dans cette motion que nous vous invitons à rejeter.