J’ai l’honneur de défendre cette proposition qui avait été déposée par notre ancien collègue Mathias Reynard dans la foulée des grandes manifestations féministes de 2019. C’est un mouvement dont la portée est très rare dans notre pays, tant par son importance – des centaines de milliers de personnes se sont mobilisées cette année-là – que par la portée des revendications. Le mouvement féministe est majoritairement internationaliste. Il est solidaire des migrantes, qui sont le plus souvent durement frappées par l’exploitation. Il revendique une société plus égalitaire. C’est vraiment un bol d’air frais dans notre pays. En quelque sorte, il est le miroir inversé de la situation à laquelle les femmes sont majoritairement confrontées. Les femmes sont le plus touchées par la précarité, le sous-emploi et les conséquences de la réduction des services publics, notamment dans les domaines de l’éducation et de la santé, puisque ce sont les femmes qui assument toujours la majorité du travail domestique et les tâches éducatives.
Ce combat féministe sert non seulement les femmes, mais aussi toute la société, puisqu’il porte une aspiration à pouvoir mener une vie qui en vaille la peine et qui concerne en réalité la majorité de la population. Alors, certes, la Suisse n’est pas la Pologne ou le Brésil, mais le patriarcat est bien présent, comme le Conseil des Etats nous en donné un exemple hier encore à propos de la pénalité du viol.
Cette pensée réactionnaire cible évidemment en particulier les femmes. Elle se sert parfois de la propagande islamophobe, comme ce fut le cas avec l’initiative populaire de l’UDC contre la burka. Les tenants de ce mouvement réactionnaire veulent imposer un rapport de pouvoir oppressif sur le corps et la vie des femmes. Donc la question de l’avortement est centrale et cristallise cette conception. La femme donne la vie, et son corps ne lui appartiendrait dès lors plus totalement, selon ces personnes. Le corps de la femme deviendrait étranger à cette dernière, comme une sorte de sanctuaire qui accueille la vie et que la société devrait protéger contre la femme même.
Le combat pour le droit des femmes à disposer d’elles-mêmes est aussi social, bien entendu. Une maternité qui n’est pas désirée entraîne le plus souvent des conséquences lourdes tant sous l’angle personnel que sous l’angle social et professionnel.
Beaucoup de chemin a été parcouru ces dernières années depuis le refus en votation populaire de la solution des délais en 1977. Le droit en vigueur repose sur une pratique qui s’est établie dans les cantons à la fin des années 1990. Il garantit dans les faits le droit à l’avortement, mais le conditionne à une logique patriarcale qui n’a plus lieu d’être aujourd’hui. L’avortement reste punissable, mais la femme peut échapper à la poursuite pénale si elle se trouve en situation de détresse. Elle doit donc en faire expressément état par écrit auprès d’un médecin qui doit s’entretenir avec elle “de manière approfondie” et la conseiller. Le rôle du médecin et de cet entretien n’est pas d’investiguer et d’établir l’existence d’une situation de détresse. Cet état de détresse est en effet automatiquement admis dès lors que la grossesse n’est pas désirée.
L’entretien a par contre pour but d’informer la femme sur les risques médicaux et sur les moyens de contraception. C’est là que réside cette logique paternaliste. Informer une patiente sur les risques médicaux relève d’abord du contrat de mandat qui lie le médecin à sa patiente. Nul besoin de le prévoir dans le code pénal et surtout pas comme une condition de la non-punissabilité d’un avortement.
La logique est donc bien de s’assurer que la femme n’est pas simple d’esprit et qu’elle n’utilise pas l’avortement comme une sorte de contraception. On relèvera que la logique de planning familiale ne vaut pas pour l’homme avec qui la femme a eu le rapport sexuel.
Je voudrais terminer en relevant que le droit à l’avortement fait l’objet de débats dans plusieurs pays. Les solutions qui sont issues des luttes sociales et politiques sont contrastées. La Colombie vient de légaliser l’avortement tandis que la Cour suprême des Etats-Unis casse ce droit reconnu aux femmes depuis plusieurs décennies.
L’adoption de cette motion serait un signal aussi à l’international, au moment où ce droit est menacé dans des pays proches de la Suisse, comme notamment la Pologne.
Il est plus que temps de faire un pas de plus dans le principe du droit des femmes à disposer de leur corps. C’est ce que propose cette motion, tout en ne prévoyant pas de modifier le régime des délais.