AVS 21, une attaque antisociale

19 Aug 2022

La droite a lancé sa compagne en faveur d’AVS 21. Sa stratégie consiste à tenter de séparer la question des retraites de celle de l’exploitation des salariées et à gommer la mobilisation sociale de la grève des femmes. AVS 21 est présentée comme une bataille de coqs. La NZZ, Le Temps et la RTS mettent en scène un duel Berset/Maillard dont l’enjeu serait une lutte d’appareil au sein du parti socialiste.

AVS 21 serait surtout inéluctable financièrement. L’augmentation de l’âge de la retraite des femmes serait ainsi la conséquence – certes désagréable – de l’égalité des sexes. Selon Céline Amaudruz, vice-présidente de l’UDC, « […] il faut avoir le courage de ses opinions et ne pas considérer cette égalité homme-femmes comme un menu à la carte, c’est-à-dire applicable dans certains domaines et pas dans d’autres ».

La droite appelle aussi les vieilles gloires du Manifeste du Gurten [1] qui se présentent comme les porte-voix de l’électorat de gauche. C’est ainsi que Rudolf Strahm et consorts rejouent leur carte de 2001 qui, en dix points, devait permettre au PS d’obtenir le même succès que Tony Blair. Il se serait agi de limiter l’Etat social qui déresponsabiliserait l’individu, de s’éloigner du « lobbysme » des organisations syndicales et environnementales, de leur « dogmatisme » et de « limiter l’immigration ».

Rudolf Strahm, l’ancien élu socialiste, et Monika Bütler, professeur à l’Université de Saint-Gall et membre du Conseil d’administration de SwissLife, tiennent grosso modo le même discours dans la presse alémanique. Les discriminations que subissent les femmes sont concentrées dans le marché du travail et non pas dans l’AVS, qui n’a pas vocation à corriger cette situation. Selon Strahm: « Le système du marché du travail et le système social, dans leur ensemble désavantagent irréfutablement les femmes. Le système de l’AVS, pris isolément, ne désavantage pas les femmes ! Il ne peut pas compenser la discrimination systémique dans d’autres domaines de la vie. ». Monika Bütler fait un pas de plus en expliquant ces discriminations: les jeunes femmes s’orienteraient vers des emplois à temps-partiel et choisiraient ainsi des secteurs moins bien payés, par choix ou en répondant à un schéma culturel. Combattre AVS 21 serait se tromper de cible et risquer de léser l’AVS qui a besoin d’argent.

Cette argumentation spécieuse semble convaincre outre-Sarine. Elle est repose sur deux incohérences.

Ce n’est pas parce que les femmes sont moins défavorisées par l’AVS que dans d’autres domaines de la prévoyance et sur le marché du travail qu’il faut péjorer leurs conditions de retraites du 1er pilier. Il faut au contraire défendre l’AVS et réaliser le mandat constitutionnel, qui n’est pas de prolonger les inégalités sociales de la retraite jusqu’à la mort.

AVS 21 a aussi pour enjeu la question sociale que méprise le comité de femmes bourgeoises favorable à cette contre-réforme. Les personnes parmi les plus concernées sont des femmes immigrées qui effectuent des tâches pénibles et les plus mal payées, comme le nettoyage. Dans le canton de Vaud, cette tâche est rémunérée 18 francs par heure. Combien de ces femmes arrivent en bonne santé à 64 ans aujourd’hui ? Avec ses 10 millions de fortune, Céline Amaudruz peut se passer de l’AVS; ces, femmes non.

Enfin, des statistiques indiquent que les hommes seraient favorables à AVS 21. Le réveil risque de faire mal. Si le camp bourgeois attaque aujourd’hui la retraite des femmes, c’est pour mieux démanteler, demain, celle des hommes. Ce coup de boutoir supplémentaire, les jeunes libéraux l’on déjà préparé avec leur initiative qui prévoit un départ à la retraite à 67 ans, puis son augmentation en proportion de l’espérance de vie. Seul un refus à AVS 21 peut freiner cette attaque antisociale.


[1] Publié en 2001, le Manifeste du Gurten regroupe l’aile droite du Parti socialiste, proche des thèses social-libérales de Tony Blair (Angleterre) et Gehrard Schröder (Allemagne). Il est signé notamment par Rudolf Strahm et Simonetta Sommaruga, qui siégeaient alors au Conseil national.

Article paru dans le dernier numéro de Services Publics, le journal du SSP.

Photo: Grève féministe du 14 juin 2019 à Lausanne. Crédit: Gustave Deghilage