Pourquoi je me présente à l’élection au Conseil national le 22 octobre 2023

19 Aug 2023

Le 22 octobre aura lieu l’élection au Conseil national. La législature s’achève. Elle fut un moment charnière. Tout d’abord marquée par la pandémie et l’adoption de quelques mesures sociales, elle s’achève sur une inflation qui n’est sans doute pas près de finir et l’annonce d’un nouveau tour de vis néo-conservateur, budgétaire et anti-démocratique.

La pandémie s’est déclarée dès les premiers mois de la législature. Sa gestion et ses conséquences, sanitaires, sociales et économiques ont occupé les travaux parlementaires durant presque deux ans. Avec le recours au droit d’urgence et les pouvoirs importants donnés au Conseil fédéral pour gérer la crise, les principes démocratiques ont été mis sous pression. Une convergence s’est rapidement faite entre les groupes parlementaires – à l’exception de l’UDC – pour que le Parlement garde la main sur les plus importantes décisions.

Les failles du système social

Concernant le Covid, d’une part, une partie significative des fonds budgétés, sur le plan fédéral, pour aider la population, les salarié·es et les plus petites entreprises à surmonter la dure période des restrictions et des diverses formes de chômage, n’ont pas été dépensés alors que les besoins étaient et sont là. D’autre part, la pandémie a mis en lumière les failles du système social. Nous avons activement participé à en combler certaines – hélas temporairement – en proposant la couverture de la totalité du salaire pour les employé·es mis au chômage partiel (comment vivre avec 80% d’un salaire qui était déjà à la base insuffisant, sans parler des importantes pertes de salaires non déclarées), la mise en place d’une protection équivalente pour les petit·es indépendant·es, le soutien aux locataires commerciaux contraint·es de fermer ainsi qu’aux locataires d’habitations privé·es de leurs revenus. Nous avons mené la bagarre pour que les aides aux entreprises servent aux petites entreprises dont le statut sociologique et économique est similaires à celui des travailleur·euses salarié·es. Pour celles-ci, nous avons proposé que les aides soient transformées en subvention non-remboursable et qu’elle soit dans tous les cas sans intérêt. Pour les autres entreprises, nous nous sommes battu·es pour que les aides soient strictement conditionnées et qu’elle ne servent pas à maintenir des profits au détriment des salarié·es et des consommateur·trices (qui se confondent la plupart du temps). Cet aspect est fondamental. Si durant le Covid, il était nécessaire de soutenir les entreprises pour ne pas voir s’effondrer des secteurs économiques, nous avons toujours conservé notre boussole politique et n’avons pas emboîté le pas à la droite qui confond volontairement intérêts des salarié·es et profit patronal sous le label abstrait «défense des PME».

Nous avons travaillé avec des organisations de terrain, notamment Action Intermittence dans le domaine culturel, l’ASLOCA dans le domaine du logement et les syndicats. Nous avons obtenu des avancées notamment avec la couverture du salaire des travailleur·euses à faibles revenus et dans le domaine culturel. Cette action n’aurait pas été possible sans les mobilisations des travailleurs·euses de la culture et de leurs organisations.

Le Covid a remis en cause la doxa néo-conservatrice: les hôpitaux mis sous pression et fonctionnant à flux tendu bien avant le Covid ont failli céder, l’Etat a dû toutefois soutenir largement l’«économie», montrant l’impossibilité de pratiquer le libéralisme… Nous avons, pendant et après la pandémie, porté le débat sur le renforcement des assurances sociales et des services au public.

Une remise en cause de l’AVS

L’essentiel de la seconde partie de la législature a également été consacré aux attaques de la droite contre les faibles mécanismes de redistribution (droit de timbre, impôt anticipé, droits de douane, etc.). Elle a également voté AVS 21 et LPP 21, tout en refusant la moindre amélioration du système de retraites (13e rente AVS), malgré le fait que 340’700 rentier·ères (AVS/AI) sont au bénéfice des prestations complémentaires (2022), soit 43’500 de plus en 10 ans[1].

L’AVS étant la principale assurance vraiment sociale, du moins sur le fond (car elle a été volontairement limitée dès l’origine à une seule partie du revenu de subsistance), la droite et le Conseil fédéral se sont acharnés à la remettre en cause avec AVS 21 immédiatement suivie de LPP 21 – contre-réforme aggravée par les représentant·es des assureurs privés actifs dans le domaine de la prévoyance professionnelle – et dans l’attente d’une nouvelle contre-réforme de l’AVS pour 2026. Lors du débat sur la proposition des jeunes PLR pour augmenter l’âge de la retraite à 66 ans et ensuite en fonction de l’âge moyen du décès, la droite a pris date.

L’immobilier est devenu depuis la crise de 2007 et, surtout, depuis les taux négatifs de la BNS (janvier 2015 à septembre 2022 ; les taux d’intérêt négatifs injectent d’importants capitaux dans l’économie) un placement privilégié des banques, des assurances et des fonds d’investissements. Genève en tête, les loyers explosent. Les représentant·es politiques des milieux immobiliers ont eu les mains libres pour refuser tout soutien aux locataires commerciaux et d’habitation durant le Covid (sur le plan cantonal, le Conseil d’Etat genevois a aussi laissé faire). Ils ont ensuite forcé le passage avec quatre textes visant à faciliter les résiliations de bail et à rendre quasi-impossibles les contestations de loyers initiaux. Deux de ces textes seront adoptés en septembre, le reste très certainement au début de la prochaine législature. Nous avons combattu ces attaques tout en pointant du doigt la faiblesse actuelle de la protection des locataires et en proposant des améliorations pour que les locataires ne soient plus à la merci de loyers ou de congés abusifs. Ces propositions ont été balayées cyniquement au nom d’un prétendu équilibre entre bailleurs et locataires. Où se trouve l’équilibre lorsque les bailleurs peuvent empocher sans contraintes 10 milliards de francs indus par an (2021) sur le dos des locataires[2] ?

Les salaires minimaux cantonaux menacés

Le temps de travail fut au centre de l’attention de la majorité parlementaire. Allongement du temps de travail avec le report de l’âge de la retraite, mais aussi tentatives pour augmenter la durée du temps de travail et pour forcer les temps partiels à travailler plus. Pourtant, la Suisse est l’un des pays d’Europe où la durée hebdomadaire contractuelle du travail plein temps est passablement élevée (41.7h/semaine[3]) et la situation se péjore.

Nantermod (conseiller national PLR) a proposé de supprimer toute aide étatique, y compris les subsides d’assurance maladie, pour les personnes qui ne travailleraient pas à temps complet. Il méprise ainsi la réalité du marché du travail où beaucoup de temps partiels ne sont pas choisis, ce qui pénalise principalement les femmes.

La majorité s’est également attaquée aux salaires minimaux cantonaux, existant aujourd’hui dans les cantons de Neuchâtel, du Jura, de Genève, du Tessin et de Bâle-Ville (motion Ettlin, Centre, ex-PDC), en considérant que ces mesures sociales sont des «ingérences discutables», comme l’indique le titre de la motion. Cette mesure fut adoptée au nom du «rôle fondamental du partenariat social dans les relations de travail» (Vincent Maître, TdG du 14.12.2022). Avec cynisme, la droite appelle au dialogue social pour attaquer les salaires des travailleur·euses les plus précaires. Les licenciements antisyndicaux sont nombreux et le droit de grève n’est garanti que sur le papier, comme l’a démontré l’affaire de l’hôpital de la Providence à Neuchâtel. En 2013, cet hôpital a congédié tous·tes ses salarié·es en grève pour le maintien de leur CCT. Aujourd’hui il fait partie du géant des cliniques privées SMN (ex-Genolier). Ses salarié·es ne bénéficient toujours pas d’une CCT, sans que ce vide n’arrache les mêmes plaintes à la droite et aux syndicats patronaux.

Dans la même veine, cette majorité a refusé d’entrer en matière pour réguler les plateformes numériques de travail. Après des années de batailles juridiques, le Tribunal fédéral avait enfin constaté que les travailleur·euses d’Uber devaient obtenir la protection minimale du droit du travail. La multinationale a immédiatement fait une pirouette pour préserver son modèle consistant à employer des chauffeur·euses sans payer une partie importante de leur temps de travail et de leurs frais. Ce refus intervint au moment où le Parlement de l’Union européenne venait d’accepter des mesures de protection similaires à celles proposées[4].

Politique anti-immigré·es

Durant cette législature, les droits fondamentaux ont également été mis en cause. Chacun·e se souvient de la campagne de la conseillère fédérale PLR Karin Keller-Sutter en faveur des mesures «antiterroristes» qui donnent des pouvoirs exorbitants à l’administration (Loi fédérale dite «de lutte contre le terrorisme», LMPT). Keller-Sutter et le Conseil fédéral ont aussi défendu une contre-réforme – heureusement substantiellement modifiée par le Parlement – qui aurait donné un coup de hachoir aux droits des prévenus en procédure pénale. La conseillère fédérale a également autorisé la poursuite pénale de militants du climat ayant appelé à refuser de servir dans l’armée, donnant ainsi suite à la demande de Jean-Luc Addor (UDC). Elle a aussi combattu l’extension à d’autres cantons de l’Opération Papyrus (régularisation de certains sans-papiers à Genève). Est symptomatique la réaction au suicide du jeune requérant d’asile Alireza en 2021, au Centre de l’Etoile à Genève. Le Secrétariat d’Etat aux migrations, sous la responsabilité de Keller-Sutter a indiqué au Tribunal fédéral qu’il ne fallait pas céder à ce type de «véritable chantage au suicide» (sic!).

L’UDC a poursuivi sa politique farouchement anti-immigré·es malgré des besoins humanitaires (environ 27’000 morts ou disparus depuis 10 ans en Méditerranée selon le Missing Migrants Project), en parallèle avec le contrôle accru de la population qui s’est notamment incarné par la loi – heureusement refusée – concernant les douanes. L’ancien conseiller fédéral UDC, Ueli Maurer voulait créer une nouvelle police fédérale aux compétences larges en matière de contrôle et dotée de pouvoirs de contraintes dépassant ceux de toutes les polices cantonales, comme utiliser des armes létales dans des contextes qui aujourd’hui sont totalement exclus.

Dans ce panorama très sombre, l’adoption du mariage pour toutes et tous ainsi que la révision du droit pénal sexuel font figure d’exception. Ces deux avancées historiques n’auraient pas été possibles sans les nombreuses mobilisations, notamment les grèves des femmes de 2021 et de juin dernier.

Au delà de leurs divergences, le PLR, l’UDC et le Centre (ex-PDC) sont au diapason pour défendre une politique néo-conservatrice autour d’un programme politique qui se résume en ces mots: ordre, business et cadeaux fiscaux aux nantis. Le sauvetage sans contrepartie sérieuse de Crédit suisse et l’augmentation du budget militaire alors que la droite préconise un tour de vis budgétaire en sont la manifestation la plus éclatante.

Pour défendre les couches les plus aisées, la droite doit faire payer les classes populaires et les salarié·es. Les salarié·es doivent se préparer à organiser une résistance notamment en renforçant les liens avec les principales organisations du canton (syndicats, ASLOCA, AVIVO). C’est la tâche principale à laquelle doivent s’atteler les partis de gauche pour cette prochaine législature ; c’est pour cela que je me présente à ces élections fédérales.

Christian Dandrès, conseiller national


[1] Office fédéral de la statistique (OFS), Statistiques des prestations complémentaires à l’AVS et à l’AI, 2022

[2] www.asloca.ch/actualites/78-milliards-francs-etude-montre-redistribution-massive-marche-locatif

[3] OFS, Durée annuelle et durée hebdomadaire contractuelle du travail des salariés occupés à plein temps selon le sexe, la nationalité et les sections économiques, 2022

[4]www.parlament.ch/fr/ratsbetrieb/suche-curia-vista/geschaeft?AffairId=20220463